Je suis subjuguée par cette lecture, surprise, étonnée, émerveillée... une petite perle se dissimulait dans ce classique anglais et je l'ai découverte en croyant lire un petit récit grivois ! Comme je me suis trompée, et comme je suis ravie de m'être trompée ! Ce livre est bien plus complet et bien plus beau aussi.
Constance (ou plutôt Connie) est devenue Lady Chatterley en épousant Clifford, un militaire qui, suite à une blessure, est devenu handicapé depuis la colonne vertébrale. Leur jeunesse est morte avec cet handicap, ou plutôt pour Connie, elle est mise en sommeil, étouffée sous la tristesse et la noirceur de la propriété familiale, Wragby Hall.
Parce que Clifford l'a décidé, ils vivent dans cette demeure, dans une région de mineurs, alors que l'industrie anglaise périclite. Parce que Clifford n'accepte que Connie, celle-ci doit être présente chaque jour auprès de lui pour le laver, le divertir, lui préparer le thé... une vraie garde malade qui s'éteint chaque jour un peu plus sous le regard indifférent, égoïste de son mari... difficile de qualifier Clifford. Pourtant, au fil des pages, l'homme que l'on pourrait plaindre nous semble uniquement tourné vers sa propre personne, sa réussite, son besoin de s'affirmer à-travers le monde... peut-être pour marquer une place qu'il n'honore pas auprès de sa femme ?
La première chose qui m'a frappée dans ce roman, c'est sa modernité. Oh pas simplement parce qu'une Lady s'emmourache de son garde-chasse ! Moderne dans sa peinture des relations hommes, femmes... moderne dans sa façon de montrer l'esclavagisme de certains hommes sur leur femme, le besoin de celles-ci d'acquérir leur liberté au risque de devenir des harpies, tellement moderne dans sa vision des relations sexuelles entre les hommes et les femmes, du plaisir partagé, du plaisir de donner et pas seulement de recevoir... J'aurais pu croire que ce roman était écrit par une femme !
Quelques extraits à ce sujet qui m'ont ouvert les yeux. Connie a eu une petite aventure avec certain Michaelis... pas de grandes parties de jambes en l'air, juste de quoi se sentir un peu vivante :
Cette nuit là, ce fut un amant plus fougueux, dans son étrange nudité de petit garçon. Connie ne parvint pas à jouir avant lui. Sa nudité et sa douceur de petit garçon avaient exacerbé son désir, et, après qu'il eut joui, elle prolongea le déchaînement tumultueux de ses reins, tandis que lui, avec une obstination héroïque, se retenait de débander, jusqu'à ce qu'elle ait atteint l'orgasme, en poussant d'étranges petits cris.
Finalement, quand il se retira, il murmura d'un ton amer et presque persifleur :
"Il ne pourrait pas t'arriver de jouir en même temps qu'un homme ? Il faut que tu te fasses jouir toi-même ! C'est toi qui doit mener la barque !"
Toutes les femmes (heureusement les hommes aussi maintenant !) qui liront ces lignes, ressentiront ce que j'ai ressenti... inutile de développer ! Je rappelle juste que c'est un homme qui les a écrite et qu'il faut absolument lire la suite !
"Les hommes en étaient dépourvus (de sensualité). Comme Michaelis, ils avaient leurs pitoyables petits spasmes de deux secondes, mais rien de cette saine sensualité humaine qui vous réchauffe le sang et irradie tout votre être."
Les femmes en prendront aussi pour leur grade, je rassure les hommes présents dans la salle !
Plus qu'une étude des relations hommes / femmes, Lawrence dresse le portrait des mineurs et de cette population... de leurs souhaits, de leur difficultés, de leur immobilité et absence de décision. C'est déjà une critique de la société de consommation. Lawrence nous gratifie de personnage haut en couleurs, tellement authentiques et complexes.
Et bien sur, cette histoire d'amour ! Car Lady Chatterley qui nous semble molle, à se contenter d'un petit freluquet comme amant, se découvre femme, se découvre personne entière avec ses désirs, ses envies, ses jugements. Elle commencera par prendre du plaisir, simple, sensuel, elle redécouvre la nature et la vie. Et progressivement, ce sont tout ses repères qui sont chamboulés. Tout cela se fait en douceur, elle doutera d'abord et finira par imposer ses convictions et ses choix.
Et que dire de ce garde-chasse bien sûr ! Un homme, un vrai, l'un des rares qui traverseront ce roman, un homme éduqué qui préfère parfois parler le patois local, qui vit dans un petit cottage sans confort et qui ne recherche plus rien de la vie sinon la solitude et la tranquillité.
Les personnages présentés par Lawrence sont tellement complexes et authentiques, j'ai l'impression de connaître Connie et j'aimerais bien rencontrer Mellors, le garde-chasse ! Un classique tellement moderne, Connie n'est pas une héroïne mais une femme qui s'affirme et Mellors, loin d'être un séducteur, est un homme qui n'ose croire en l'espoir de l'avenir. Une belle lecture, surprenante, délicieuse, ponctuée d'une lettre à coupée le souffle !
"Thomas souhaite le bonsoir à Jeanneton, la tête un peu basse, mais le coeur plein d'espoir."