mercredi 13 octobre 2010

Mangez-le si vous voulez - Jean Teulé



J'ai lu ce court livre pendant ma pause repas aujourd'hui... et j'en ai eu le souffle coupé ! L'appétit aussi, de temps en temps, j'avoue ! Mais si j'ai parfois interrompu mon repas, je n'ai pas pu m'arrêter dans ma lecture. J'ai été happée. Serait-il pervers de dire que j'ai aimé cette lecture ? Pourtant, d'une certaine façon c'est bien le cas. Parce que malgré l'horreur décrite dans ce livre (et l'auteur ne nous épargne pas), il y a aussi de la beauté. Et c'est là tout le génie de Jean Teulé, de faire apparaître de la beauté et de la poésie dans une histoire si barbare. Je me demande bien comment il réussit ce prodige !

Pour commencer, il s'agit d'un fait historique. En guerre avec la Prusse (nous sommes sous le second empire) et en plein été caniculaire qui ruine les récoltes, Alain de Monéys, jeune bourgeois sympathique, se rend à la foire de Hautefaye, le village voisin. En chemin il rencontre certains de ses voisins, des gens qu'il côtoie régulièrement, qu'il salue bien volontiers et avec gentillesse. Je n'avais pas relu la 4ème de couverture et en lisant les premières pages, je me suis dit "ho nom de nom, pas lui, pourvu que ce ne soit pas ce gentil garçon presque naïf qui se fasse lyncher"... et bien si ! Et quand je dis "lyncher", je suis bien gentille mais j'y reviendrais.

Alain est donc un jeune homme aimable et généreux. Il est tellement bienveillant envers les autres qu'il ne voit pas le mal. En tout cas il ne voit rien arriver et suite à une parole mal interprétée, le voilà mis à mal par la foule furieuse, insulté, frappé par ceux là même qu'il saluait gentiment quelques minutes plus tôt ou par des amis avec qui il avait joué enfant.

La foule devient méchante, bête, mouton. Elle suit les idiots qui la mènent, chacun y va de son idée. Cet homme qu'ils connaissent tous, ils se refusent désormais à le reconnaître et lui refusent aussi son identité. Alain sera rué de coups, traîné à-travers les rues du village, torturé de toutes les façons possibles, humilié, battu... rien ne lui sera épargné, rien ne nous sera épargné, ni le sang qui tache, éclabousse ou coule à flot, ni la cervelle qui se répand sur les chaussures, les matraques improvisés ou le sol, ni les orteils arrachés à la pince, les doigts sectionnés dans une porte, l'oeil crevé, le pied clouté avec un fer à cheval et le talon explosé... Il sera écartelé dans les rires de la foule... Pour l'achever (enfin) ils le traîneront à l'extérieur du village, là où chaque année les feux de la saint Jean sont allumés et il y sera brûlé vivant.

Alors enfin, on respire, on pense que le cauchemar est terminé, que la folie va s'éteindre, la foule revenir à elle-même alors que le corps brûle encore. Hélas non ! Une femme sortira son pain et voilà chacun qui se prépare une tartine avec la graisse de ce pauvre homme, jusqu'à ses "rognons" qui seront dévorés par une femme, dans les rires gras de la foule.

Seuls quelques hommes tenteront de s'interposer dont le curé, qui tentera tant bien que mal d'éloigner la foule en lui faisant boire le vin de messe et des caves de l'Eglise !

Le lendemain, tout ce petit monde est effaré. Ils ont tué un homme de la pire des façons, ils ont torturé leur voisin, presque leur ami, ils l'ont mangé ! Bien sur, chacun regrettera, s'avouera impuissant à comprendre, à expliquer ce coup de rage et de haine. Bien sur, il y aura des procès, des condamnations... pourtant la leçon était-elle vraiment comprise ?

Et malgré ses horreurs, Jean Teulé réussit l'exploit d'être poétique ! Ca vous étonne n'est-ce pas et j'imagine déjà vos expressions horrifiées (enfin si vous lisez jusque là !). Cet écrivain se révèle dans les récits les plus noirs. Le rythme est enlevé, vous êtes emportés, asphyxiés, puis soudain une bouffée d'air frais vous fait reprendre pied, mais ce n'était qu'un répit, voilà qu'à nouveau vous êtes à bout en espérant la fin. Il jongle avec nos nerfs, les mets à l'épreuve, les tend à les rompre.

C'est un chef d'orchestre.

"Pauvre coeur mal tombé, il devient victime d'un groupe de fantômes qui dansent comme des atomes dans la chaleur accablante dont les torréfie l'été."

"Son âme flue en rêves fous parmi ces gens cafards à vous dégoûter d'être au monde. En venant à la foire, son rêve était au bal, je vous demande un peu ! Il a méconnu sa destinée. C'est si bien son tour aujourd'hui que le diable en crierait grâce alors qu'Alain voit voler, bêtement en l'air, plusieurs de ses orteils quittant la tenaille de Lamongie."

12 commentaires:

Pimpi a dit…

Argh.... pas sûre d'avoir envie de le lire, ce roman, malgré tout le "bien" que tu en dis!! Je vais me contente de mes bleuettes à l'eau de rose, si ça ne te dérange pas! :)

Nataka a dit…

Beuaaark ! Non merci. En plus, le dernier Jean Teulé que j'ai lu, qu'on m'avait vendu comme "très drôle" était en fait d'un humour tellement noir qu'il ne m'a pas plu du tout.

Sandy a dit…

Pas de soucis ! Je sais que vu le sujet (et oserais-je dire l'auteur !?) je risque plus d'attirer les grimaces que de remplir les paniers de commande ! ;o)

Sandy a dit…

@ Nataka : il faut le savoir, Teulé c'est très noir, même quand c'est de l'humour ! ;o) Je pense que tu ne l'oubliera plus ! ;o)

Mlle Pointillés a dit…

Je pense pas me laisser tenter par le Teulé...

Mais suis morte de rire à la lecture de tes commentaires sur la colonne de droite et cette coquine qui essaye de savoir quand notre couple chéri va conclure...!! ^^

Anonyme a dit…

j'ai beaucoup de mal avec Teulé ! je sais que vous êtes beaucoup à l'aimer, mais après "Le Montespan" et "les lois de la gravité", je me dis que décidément je ne suis pas sensible à sa prose...

Lily a dit…

Horrible !
Même si j'aime bien ton avis, ce n'est pas possible je ne vais pas pouvoir le lire
Bizarrement ça m'a fait penser au film "La passion du Christ" juste pour le côté torture par moment, tellement c'est horrible ( ils le fouettent avec un fouet en fil barbelés et sa peau s'arrache.. euuurkk ça m'avait traumatisé) * la "comparaison" s'arrête là ^^*

Ah la la, mais dans ton livre, ça dit Pourquoi ils font ça? Comment s'est venu ? Tu peux me le dire, je ne vais pas le lire c'est sur ^^ :D
Non parce que je comprend pas pourquoi d'un coup ils le torturent..

Cécile a dit…

Hum non alors vraiment, ça ne m'attire pas du tout...

bladelor a dit…

Magnifique billet ! Tu sais que tu me donnes presque envie de tenter... J'avais dû abandonner Je, François Villon tellement j'avais la nausée (au sens littéral du terme), mais j'aime énormément l'écriture de Teulé. Et les extraits que tu nous offres sont sublimes.
Quel est la part de vérité et de fiction par rapport à ce fait historique ? Est-on très proche de la réalité en lisant ce roman ?

Sandy a dit…

@Mlle Pointillés : hihi ;o) Maintenant que je sais que tu lis Fievre Faë je te souhaite une bonne lecture !! ;o)

@ Georges : Beaucoup n'aime pas Teulé ! C'est quitte ou double avec lui !

@ Lily : je préfère lire un livre qui décrit des tortures que voir La passion du christ !! ;o)
Et oui on sait pourquoi ils font ça... enfin... juste la bêtise, la haine et la peur ! Il est pris pour un traître.

@ Cécile : pas de soucis !

@ Bladelor : Alors là si je tente pour lire ce livre, je suis flattée ! En fait je suis étonnée quand tu dis aimé son écriture parce qu'en même temps c'est souvent très sombre et on est souvent à la limite de la nausée !
Pour les extraits, j'en ai repéré d'autres mais j'ai pensé qu'il y avait quelques âmes sensibles !
A mon avis, on est très proche de la vérité. Les tortures se sont réellement passées et on suit le parcours d'Alain tel que décris par les témoins par la suite. Le caractère d'Alain a peut-être été "amélioré", peut-être n'était-il pas si généreux que le décrit Teulé... quelle importance. Je ne souhaiterais à personne ce qu'ils lui ont fait.

bladelor a dit…

On ne peut pas nier qu'il a une superbe écriture, il manie le verbe à la perfection... L'écriture peut être belle même si le contenu est dur...

Anonyme a dit…

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